Luc Schuiten est architecte. Parallèlement à sa carrière professionnelle, consacrée à la conception d’habitations caractérisées par une plus grande attention à l’environnement, il imagine des interventions dans la ville et ses alentours qui présentent un caractère emblématique. Engagé dans une pensée écologique, soucieux de l’avenir de la planète et des conditions de vie des hommes de demain, il a voué une partie de son activité à l’anticipation. Comme pour son frère François, dont il a été scénariste et l’auteur des architectures imaginaires, le dessin est un outil d’exploration des possibilités à venir.
INSPIRE : Nous nous voyons, humains, dans l’obligation de réorganiser notre espace, notamment dans nos villes, si nous voulons le rendre plus vivable, plus agréable à vivre. Que préconisez-vous ?
Luc Schuiten : La première chose à faire serait de réparer les grandes erreurs du passé: le cœur de nos cités a été conçu pour la plupart au Moyen-Age avec des ruelles prévues pour le déplacement de piétons et de quelques calèches. Ces voies de circulation ne sont pas compatibles avec les voitures, camions, gros bus articulés, car elles mettent en présence des moyens de déplacements agressifs, brutaux et dangereux avec des usagers faibles et vulnérables. Il paraît urgent d'harmoniser les déplacements urbains en donnant l'exclusivité de ces lieux à des "déplacements doux".
Le deuxième axe de travail devrait se porter sur l'introduction de la matière vivante dans les espaces urbains voués aujourd'hui presque exclusivement au minéral. Retrouver la présence du végétal dans notre environnement proche est indispensable pour nous reconnecter à nos sources.
I : Voici une question sans doute classique pour l’architecte visionnaire que vous êtes : à quoi ressemble votre ville du futur ?
LS : Mon approche est peut-être moins celle d'un architecte visionnaire que celle d'un peintre. C'est à dire que je réponds généralement à cette question par des dessins car je peux utiliser ce médium pour faire passer bien plus d'informations que dans un long discours. Je joins en annexe un panorama de ce que pourrait être le futur de la ville de Shanghai. Un curseur en dessous du dessin montre l'évolution spatio temporelle de cette ville durant une période de 100 ans. Voir le panorama
I :Nous remettre en symbiose avec le vivant est pour vous une condition sine qua non pour la durabilité de notre espèce. Comment réaliser cela concrètement dans nos villes actuelles? A quelle échéance réaliste?
LS : Se remettre en symbiose avec le vivant part d'un changement dans les mentalités, cela se met en place progressivement, sans qu'il n'y ait de moment précis de départ et de fin car il n'y a pas d'échéance à un idéal vers lequel on tend sans jamais l'atteindre. Il ne peut s'agir que d'un vaste mouvement dont les prémices sont déjà perceptibles aujourd'hui et qui j'espère, vont connaitre des mouvements d’accélération par des décisions politiques emblématiques à quelques endroits significatifs. Quand ces réalisations seront considérées comme des réussites, elles deviendront exemplaires de comportements nouveaux.
I : Vos projections de ce que sera la ville de demain peuvent pour certains sembler utopiques. Comment faire pour rendre concrète l’utopie ?
LS : Ces projections sont utopiques dans la mesure où elles n'ont pas encore été réalisées. Pour les rendre concrètes, le mieux est de multiplier différents champs d'expérimentation, à petite échelle pour commencer, afin de pouvoir corriger les méthodes de réalisation et rendre plus fiables les modèles.
I : Issac Newton disait que les hommes construisaient beaucoup trop de murs et pas assez de ponts. Quel écho donnez vous à cette affirmation ?
LS : Cette pensée d'un autre siècle est encore bien plus d'actualité aujourd'hui. Nous manquons singulièrement de communication entre les différentes disciplines, mentalités, cultures, pays, etc…. A l'époque de Newton, une invention devait pouvoir être utilisée par tous afin d'être une avancée pour l'ensemble de la société. Aujourd'hui, chaque invention voit son apport limité par des brevets, réduisant ainsi sa portée à la communauté au profit d'un gain pour quelques uns.