Propos recueillis et traduits par Xavier Marichal, Factor X.
Tony Cortese, président honoraire de « Second Nature ». Second Nature est une ONG américaine qui a été créée en 1993 par Tony Cortese, le sénateur américain (et candidat à l’élection présidentielle) John Kerry, Teresa Heinz Kerry et Bruce Droste. L’ambition de Second Nature est de faire en sorte que la vision d’une société saine, juste et durable devienne une pierre angulaire de toutes les pratiques d’enseignement dans les universités américaines. Second Nature s’inscrit dans le mouvement international de l’ « éducation à la durabilité » et aide donc les instituts supérieurs et universités à implémenter des stratégies et programmes pour transformer l’éducation fournie aux étudiants. Tony Cortese a été président de Second Nature de sa fondation jusqu’en début 2012. A ce titre, il a commis un article intitulé « Visions de la durabilité en 2050 ». Dans le cadre de la présente édition d’EXAPTATIONS sur la thématique 2050, c’est donc tout naturellement que nous avons voulu en discuter avec lui, pressentant intuitivement que l’éducation offerte par notre société aura clairement un rôle à jouer dans ce que la génération actuellement aux études et les suivantes construiront comme monde d’ici là.
NB : La conversation, tenue à distance, fut très riche et trop dense que pour pouvoir la reproduire intégralement ici. Nous vous en offrons donc des morceaux choisis en français, tandis que vous trouverez l’intégralité des idées de Tony en langue originale accompagné de références et suggestions de lectures, en suivant ce lien.
Factor X : Dans votre article « visions de la durabilité en 2050 », vous décrivez une vision somme toute assez positive de l’humanité. Que pensez-vous que nous devrions, nous et les générations futures, mettre en place pour y accéder ? Quels sont nos défis majeurs ?
Pour Tony Cortese : D’ici 2050, l’humanité aura:
- pris, dans son ensemble, conscience que les progrès sociaux, économiques et de santé sont dépendants d’une biosphère en bonne santé ;
- stabilisé sa population mondiale à un niveau réaliste pour les capacités à court et moyen termes des ressources finies de la planète ;
- transformé le marché au service de l’alignement avec les systèmes naturels, économiques et sociaux pour le bien commun et la durabilité.
Tony détaille ensuite cette vision tant sur le plan de l’énergie et du transport que de la démocratie et la gouvernance. Parmi les thèmes abordés, les lecteurs familiers d’EXAPTATIONS trouveront une série de concepts abordés dans ces colonnes : économie de fonctionnalité, capital naturel, bio-mimétisme… La réponse très circonstanciée de Tony à notre première question présente une belle synthèse des synergies en œuvre entre toutes ces thématiques.
Cependant, pour que l’humanité se retrouve à ce stade d’ici à 2050, il faut que la génération qui arrive aux commandes de la société décide de passer à l’action, et que les générations qui suivent fassent de même, sachant que les jeunes diplômés de 2050… ne sont pas encore nés aujourd’hui !
FX : A cet égard, que peut-on mettre en œuvre dans nos propres systèmes éducatifs actuels pour aider les générations futures à mieux appréhender les enjeux et les pistes de solutions ?
TC : Nous savons tous que les études supérieures préparent les futurs décideurs de nos institutions, y compris les institutions qui veillent aux enseignements de base (primaire et secondaire). Les études supérieures ont donc un rôle clé lorsqu’il s’agit de rendre une civilisation moderne possible. Et ce rôle est encore plus important dans un monde qui ne cesse de grandir et de générer des interdépendances. De plus, les campus universitaires (et les collèges américains, équivalents des classes préparatoires) sont eux-mêmes des microcosmes du reste de la société qu’ils reflètent tels des miroirs. La société compte sur l’éducation aux plus hauts niveaux pour résoudre les problèmes actuels et anticiper les défis futurs. La connaissance étant une caractéristique intrinsèque des humains, les études supérieures –on l’oublie souvent- sont l’une des pierres angulaires majeures pour mener la société vers un futur plus juste, sain, sûr et durable.
L’enseignement supérieur est le seul secteur séculaire de notre société, conçu avec une vision à long terme et une capacité à fournir la connaissance et les compétences nécessaires à toutes les professions dont les entreprises et gouvernements d’aujourd’hui et de demain auront besoin à grande échelle. Les défis de notre temps offrent à l’éducation supérieure une opportunité sans précédent de démontrer son rôle crucial et de plus en plus important.
Et si l’enseignement supérieur adoptait une position motrice pour aider la société à relever ces défis ? Chaque école supérieure ou université pourrait opérer comme une communauté intégrée qui modélise la durabilité sociale, économique et biologique et ses interdépendances avec les communautés locales, régionales et planétaires. Nous pensons souvent aux activités d’enseignement, de recherche, de gestion et de relation avec les autres communautés comme des activités séparées : elles ne le sont pas. Les étudiants apprennent de tout ce qui les entoure, ces activités relèvent donc d’une toile complexe qui se tisse entre expériences et apprentissages. Tous les aspects d’une université ou école supérieure sont critiques pour parvenir à une transformation qui ne se réalisera qu’en connectant la tête, le cœur et la main. L’expérience des étudiants doit donc associer le curriculum avec :
1. la recherche ;
2. la compréhension et la réduction de toutes les empreintes sociales et environnementales négatives de l’institution à laquelle ils appartiennent ;
3. un travail pour améliorer tous les aspects sociaux, économiques, environnementaux et de santé dans les communautés locales et régionales avoisinantes.
Pour réaliser cet alignement de l’expérience éducative des étudiants avec ces principes de durabilité, il faudrait :
- que le contenu des cours reflète la manière de penser en termes de systèmes interdépendants, avec autant de rigueur sur la manière de connecter les disciplines que celle qui prévaut à l’intérieur de chaque discipline ;
- chaque cours devrait inclure des connexions avec l’environnement, l’éthique pour rendre ces valeurs centrales dans l’enseignement au lieu de les cantonner dans des cours spécialisés ; l’enseignement doit également s’intéresser à la vie sur le campus et en dehors ;
- les campus devraient alors pratiquer ce qu’ils proclament et non seulement modéliser mais aussi implémenter des pratiques durables tant environnementales qu’économiques dans leurs opérations, planning, design des infrastructures, achats, investissements… et lier ces efforts au curriculum formel ;
- renforcer les partenariats avec les communautés locales et régionales pour que l’enseignement supérieur résulte aussi en des expériences socialement riches, économiquement sûres et durables.
En d’autres mots, il faut déporter l’attention de l’enseignement supérieur pour créer une société meilleure d’une approche par programmes distincts tels qu’ils sont réalisés aujourd’hui partout dans le monde vers un impératif stratégique impliquant tous les acteurs. La durabilité doit devenir le critère à l’aune duquel se mesure le succès de l’enseignement supérieur. C’est ce que Second Nature vise avec son programme pour les directoires américains des universités et écoles supérieures, le "American College & University Presidents' Climate Commitment".
N.B. : Outre la version originale plus longue, Tony a également détaillé plus longuement sa vision dans ce document.
FX : Pouvez-vous nous dire plus précisément le genre d’actions qu’un programme comme le "Presidents’ Climate Commitment" vise et les résultats qu’il a déjà permis d’engranger.
TC : (extraits choisis)
- Le programme inclut 663 écoles et universités de tous les états des Etats-Unis. Cela représente 6,3 millions d’étudiants (35% de la population étudiante des Etats Unis).
- Ensemble, les participants ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre de 25% depuis 2007, en pleine récession économique (tandis que les émissions globales augmentaient chaque année).
- 30% des participants se sont engagés à être neutre en CO2 d’ici 2032. Une large majorité des participants poursuit le même objectif à l’horizon 2040/2050. Deux participants sont déjà neutres.
- 298 universités et écoles participantes produisent ensemble 295 millions annuels de kWh d’énergie renouvelable, et 160 participants achètent 1,4 milliards annuels de kWh d’énergie renouvelable. La "Ball state University" en Indiana avec ses 44.000 étudiants est en train de remplacer son chauffage au charbon par de l’énergie géothermique, ce qui réduit ses émissions de 85.000 tonnes équivalent CO2, et permettra d’économiser 2 millions de dollars annuels. "Butte College" en Californie et ses 14.000 étudiants est la première école qui parvient à injecter de l’énergie sur le réseau après avoir satisfait à ses propres besoins. Ils pensent ainsi économiser entre 50 et 75 millions de dollars sur les 15 prochaines années.
- 200 participants délivrent 10.000 cours avec un focus sur la durabilité. 198 ont établi des baccalauréats en durabilité. 112 ont établi des masters. 112 participants ont eux créé des programmes pour veiller à l’intégration de la thématique durable dans l’ensemble du curriculum.
- 171 membres rapportent avoir économisé ensemble 100 millions de dollars en un an. 112 ont budgétés 209 millions de nouveaux financements pour des programmes de recherche et d’enseignement.